Odile, sentinelle d’avenir et expression du génie féminin. Née vers 660 au château de Hohenbourg (Altodunum en celte, sur la commune d’Ottrott, Bas-Rhin) dans la montagne vosgienne, rejetée par son père et éloignée au monastère de Palma (sans doute aujourd’hui Baume-les-Dames, dans le Doubs), Odile reçoit le baptême des mains de l’évêque Erhard de Ratisbonne, à l’âge de 12 ans. Elle ouvre alors les yeux et voit pour la première fois depuis sa naissance la splendeur de la vie. Elle reçoit donc le nom d’Odile, « fille de Lumière ». Plus tard réconciliée avec son père, elle devient plus tard abbesse d’un monastère fondé à Hohenbourg, en lieu et place du château, où elle meurt en 720.
Aujourd’hui, le Mont Saint-Odile poursuit inexorablement sa vocation de « fille de Lumière » en cette terre foulée chaque jour par des pèlerins et des touristes. L’eau de la source reconnue miraculeuse, abreuvant l’assoiffé et purifiant le regard de celui qui s’y lave le visage, cette eau venant des profondeurs ou de la nuée, porte en elle le mystère de la terre et du ciel, le mystère de la vie qui, par le baptême, s’ouvre sur l’Éternité.
Pour les êtres de cœur, la montagne de Sainte-Odile est l’objet d’une découverte bouleversante, le ferment d’une conversion à la vie de l’esprit, à la signification du monde. Goethe y percevait les pulsations de la terre alsacienne, cette terre burinée par des drames terribles mais nourrie par l’espérance chrétienne et par cette foi stimulante qui affirme la présence de Dieu. Elle est manifeste dans l’adoration perpétuelle qui s’y déroule depuis huit décennies.
Mais qu’est-ce que le Mont Sainte-Odile ? Mille choses diverses, mais une seule est capable de les rassembler toutes : le message de vie toujours actuel délivré par l’abbesse des lieux, une prophétie d’amour et de lumière.
Par sa naissance, alors qu’elle est aveugle, Odile rappelle que toute vie humaine, même la plus handicapée, a du prix aux yeux de Dieu et vaut la peine d’être vécue.
Par l’abandon qu’elle subit, sa mère la confie à une nourrice pour qu’elle échappe à la mort, elle dénonce l’injustice faite à tous ces innocents, victimes des conflits entre parents et qui se voient ballottés d’un lieu à un autre.
Par son baptême, alors qu’elle grandit au milieu de religieuses à Palma, elle annonce la vie donnée par Dieu. Cette vie plus forte que la mort qui offre la perspective de revoir dans la clarté du Ciel le visage de ceux que nous aimons.
Par sa vie à Palma, elle invite à mépriser les vanités du monde et à se consacrer librement au Christ.
Par sa lettre à son frère Hugues qu’elle aimait sans l’avoir vu, elle chante le prix des liens du sang qui ne peuvent être détruits ni par le ressentiment, ni par la haine.
Par son retour risqué dans la maison d’Adalric, son père, elle invite à faire le premier pas vers ceux qui nous offensent.
Par sa vie de servante à Hohenbourg, elle trace le chemin de la joie qui consiste à se satisfaire de sa situation et de se réjouir de ce que la vie offre.
Par son souci des pauvres, elle annonce cette terre nouvelle où sera rendu au centuple tout le bien que nous leur faisons ici-bas et l’amour de prédilection de Dieu pour les exclus de la vie Par sa pénitence et son jeûne à la mort d’Adalric, son père, elle affirme sa foi en la miséricorde de Dieu qui seul sauve de la mort ceux qui s’y sont endormis.
Par sa vie fraternelle au milieu des Sœurs de sa communauté, elle donne un signe fort de ce monde nouveau où l’amour est vainqueur de la mort.
Par sa charité, elle enseigne la joie véritable qui naît du don.
Par sa confiance en la toute-puissance de Dieu, elle plante le signe de la victoire du Bien sur le Mal.
Par le choix de la règle canoniale et non monastique, elle offre la douceur de Dieu à sa communauté servante de sa gloire.
Par sa vénération de Jean-Baptiste qui lui était apparu et qui lui indiqua l’endroit où devait s’élever une chapelle, elle chante sa foi en la communion des saints.
Par la construction d’une église, elle atteste de la présence du règne de Dieu en ce lieu qui lui appartient.
Par la consécration du couvent de Hohenbourg (Bas-Rhin) à la Mère de Dieu, elle s’en remet à la prière de Notre-Dame, à sa protection et prend la Mère de Dieu comme modèle de vie.
Par son souci des animaux, elle prend soin de l’œuvre de la création voulue par Dieu qui sauve l’homme et les bêtes.
Par son témoignage de vie qui valut à ses nièces d’être séduites par son idéal de vie puis de la rejoindre au couvent, elle rend gloire à son Maître et Seigneur.
Par sa prière qui obtint de Dieu la multiplication d’une mesure de vin qui venait à manquer, elle manifeste sa confiance en la providence.
Par son amour pour le Christ présent dans l’eucharistie, elle invite à l’adorer et à l’aimer plus que tout, maintenant et à l’heure de la mort.
Par sa mort confiante, elle embrasse le Ressuscité qui rendra nos pauvres corps mortels semblables à son corps glorieux. Oui, l’Évangile proclamé par Odile est crédible, elle l’a vécu en plénitude !
Une inscription gravée sur le fronton d’entrée du sanctuaire, au-dessus d’une statue de la sainte, résume : « Ici fleurit jadis la sainte abbesse Odile et toujours elle règne en Mère de l’Alsace. »
Le Mont Sainte-Odile, le miracle de la foi. Aujourd’hui encore, l’Évangile est annoncé au Mont Sainte-Odile et les personnes emportent cette bonne nouvelle dans le pèlerinage de leur vie. Depuis des siècles, la messe est célébrée quotidiennement en ce lieu et depuis 1931, l’adoration eucharistique vécue nuit et jour y est pratiquée. Les pèlerins sont confiants, conscients que l’union au Christ dans le pain eucharistique transforme leur vie et la façonne. Ici on se réjouit et on pleure ; il y a des larmes d’espoir, de désir ardent, d’accablement… Chacun peut prendre conscience qu’il est au Mont Sainte-Odile tout proche de Jésus Christ, du Père tout-puissant et miséricordieux. Sous le regard de la Vierge Marie, chacun se sent accepté sans condition. Là aussi réside le miracle d’un lieu de grâces : les personnes sont ouvertes à la transcendance de Dieu et ressentent au plus profond d’elles-mêmes que Terre et Ciel se rejoignent.
Cette expérience ne peut être ni achetée, ni arrangée. Le plus souvent, elle est le fruit d’un long cheminement intérieur, d’un temps de préparation, d’une concentration sur l’essentiel, d’un abandon des petits soucis du quotidien et d’une ouverture de soi à Dieu. Voilà ce qui se produit quand des personnes vont en pèlerinage et, en quelque sorte, « prient avec les pieds ». À chaque pas, ils abandonnent progressivement « la normalité » pour basculer dans le rythme de la prière. Beaucoup de ces pèlerins viennent au Mont Sainte-Odile, en raison de son isolement dans les collines vosgiennes et de la beauté de la nature environnante, pour se plonger dans la paix de Dieu. Ici, les murs portent en eux l’atmosphère si particulière à ce « haut lieu de la prière et de la charité, site prestigieux de l’Alsace, qui a vu arriver au long des siècles tant de visiteurs et de pèlerins, saisis par la beauté unique de son panorama grandiose, et intérieurement régénérés par son atmosphère spirituelle tonifiante » (saint Jean-Paul II, lors de sa visite le 11 octobre 1988). Le pèlerin revient toujours en ces lieux. C’est en vain qu’on s’attend ici à un évènement miraculeux spectaculaire ; cependant, il se produit dans le secret, le véritable miracle de la foi quand Odile nous accueille. Son exemple rappelle à la mémoire humaine que tout homme est une histoire sacrée. Sa vie ne peut pas seulement être définie par l’activité, les capacités, les aptitudes, le sens de l’organisation et le mérite. La vie de tout homme a été voulue par Dieu ; elle doit s’ordonner et se réaliser en vue de Dieu. La véritable histoire du Mont Sainte-Odile est celle d’une relation capitale, celle de Dieu avec l’homme à travers la splendeur du cœur d’une femme, sentinelle d’avenir, toujours prête à secourir son peuple. Oui, montons à la « Maison Odilienne de Dieu », nous y serons accueillis par… Odile. Et, comme jadis elle frappa de son bâton le roc pour en faire jaillir la source d’eau vive, ainsi elle cognera de sa crosse d’abbesse nos cœurs, pour y faire sourdre le filet de charité qui réconfortera le cœur.
ComplémentsLa vie de sainte Odile. Le récit ci-dessous s’inspire très largement de la traduction du texte original signé par Mme Marie-Thérèse Fischer, historienne du Mont Sainte-Odile. Tous droits de reproduction réservés. Adalric Au temps de l’empereur Childéric vivait un illustre duc du nom d’Adalric [ou Étichon]. Il fit construire à Hohenbourg une église et tous les bâtiments nécessaires à des soldats du Christ.
Odile repoussée à sa naissance Aldaric avait une digne épouse du nom de Persinda [ou Bereswinda]. Selon certains, elle était de la famille de saint Léger. Elle s’adonnait aux œuvres de justice et répandait les aumônes. Elle écoutait volontiers des lectures de l’Écriture sainte. Elle avait à cœur de servir Dieu. Or, il advint qu’elle mît au monde une fillette aveugle. Le père, quand il apprit cette infirmité, fut bouleversé. Il pensa qu’il était par là puni d’une faute qu’il aurait commise et songea à faire mourir l’enfant. Il disait à sa femme : « Maintenant je sais que le Ciel est en colère contre moi, parce que ce qui m’arrive n’est jamais arrivé à quelqu’un d’autre dans ma famille. » Il ordonna de tuer la fillette. Sa femme eut beau plaider la cause de l’enfant, en invoquant l’aveugle-né dans l’Évangile, le Duc ne voulut rien savoir. Au contraire, son ressentiment ne faisait que grandir tant qu’il savait la fillette en vie. Il dit encore à son épouse qu’il considérait comme une honte d’avoir une fille privée de la vue et il lui ordonna de faire venir quelqu’un de ses familiers soit pour tuer le bébé, soit pour l’emmener quelque part où on ignorait qui il était.
La Nourrice d’Odile La pauvre mère se sentait complètement désemparée ; elle confia le bébé à une nourrice pour le mettre à l’abri. Persinda lui mit le bébé dans les bras en disant : « À toi, je la donne à élever et à mon Seigneur Jésus-Christ je la confie. »
Le baptême miraculeux d’Odile La servante, recevant la fillette de bon cœur, rentra chez elle et l’éleva pendant presque tout un an. Mais alors les voisins se mirent à jaser : de qui était-elle donc la fille, cette petite qu’on traitait là avec tant d’honneur ? Ces propos jetèrent la nourrice dans une grande crainte : et si ce qu’on voulait cacher devenait public ? Elle envoya un messager à sa maîtresse pour lui faire savoir ce que disaient les voisins. Cette dernière lui commanda de fuir en secret en un autre endroit, appelé Palma, et de s’y cacher avec la fillette. Elle avait là-bas une tante qui leur fournirait tout ce dont elles auraient besoin. Obéissant volontiers, la nourrice parvint au lieu indiqué, qui était un monastère où elle put élever l’enfant.
Voici qu’un évêque de Bavière, nommé Erhard, reçut un ordre de Dieu dans une vision : « Va dans un monastère qu’on appelle Palma. Là, tu trouveras une fillette aveugle de naissance. Prends-la et baptise-la au nom de la sainte Trinité, en lui donnant le nom d’Odile, et, immédiatement après le baptême, la vue lui sera donnée. » Lui, se hâtant avec joie d’accomplir ce qui lui était commandé, s’y rendit et trouva la fillette tout comme il lui avait été annoncé. Il la plongea alors dans l’eau baptismale. En l’élevant hors de l’eau, il lui oignit les yeux avec le Saint Chrême et, immédiatement délivrée de sa cécité, elle tourna vers le visage de l’évêque un regard clair. Le saint serviteur de Dieu, rempli d’une immense joie, rendit grâces à Dieu. Il expliqua à la communauté les révélations qu’il avait reçues et exhorta les religieuses à prendre bien soin de cette vierge consacrée au Christ. Il donna le baiser de paix à sa filleule : « Dans le royaume éternel, lui dit il, il nous sera permis de contempler à nouveau le visage l’un de l’autre. » Tout étant accompli, il retourna dans sa patrie.
La vie à Palma Les moniales élevèrent avec amour la vierge du Christ et veillèrent à ce qu’elle s’adonne à la méditation de l’Écriture sainte. La jeune fille vivait de peu et dispensait des aumônes autant que ses moyens personnels le lui permettaient.
Adalric apprend les évènements Son père fut averti par une révélation céleste que la fille qu’il avait vouée à la mort vivait encore et que, baignée dans la fontaine sacrée du baptême, elle avait reçue la vue.
La lettre au frère Odile servait le Seigneur dans son monastère. Quelques femmes de cette communauté, à l’instigation du diable, la prirent en haine et se plurent à lui nuire. Mais elle supportait leurs insultes pour l’amour de Dieu. Dans la maison de son père, elle avait un frère, Hugues. Elle ne connaissait ni sa voix, ni son visage. Elle lui écrivit une lettre pour le supplier de daigner se souvenir d’elle pour l’amour du Seigneur qui nous ordonne d’aimer non seulement nos proches et nos amis, mais aussi nos ennemis. Quand le frère reçut la lettre, il la lut avec attention et alla trouver son père pour obtenir de lui le retour d’Odile. Mais Adalric lui ordonna de ne plus dire un mot à ce sujet. A l’insu de son père, le frère lui envoya un char, ainsi que tout ce qui était nécessaire pour le voyage, et la fit revenir à la maison.
Le retour d’Odile Contre l’avis de son père Adalric, Odile revint à Hohenbourg avec la complicité de son frère. Fou de rage, Adalric frappa ce dernier d’un bâton qu’il tenait à la main, plus durement qu’il n’aurait voulu. Le jeune homme en tomba malade et en mourut. Quand le père vit l’énormité de sa faute, il en fut profondément affligé. Dès lors et jusqu’à sa mort, il demeura dans le monastère de Hohenbourg pour apaiser le Seigneur par la pénitence.
Odile à Hohenbourg Adalric finit par confier Odile à une moniale originaire de Bretagne et il décida qu’on lui donne chaque jour la ration d’une servante. Elle l’accepta en rendant grâces et resta longtemps dans le monastère sans rien avoir d’autre que ce qu’une servante avait coutume de recevoir.
La donation La vierge sainte vivait à Hohenbourg alors que son père l’ignorait. Un jour, elle portait, sous le manteau dont elle était enveloppée, un peu de farine dans un petit vase. Elle rencontra son père. Celui-ci, inspiré par le ciel, se mit à lui parler avec bonté :
« Ma bien chère fille, d’où viens-tu et où veux-tu aller ? Que portes-tu là ? » S’arrêtant, elle répondit :
« C’est un peu de farine que je porte, Monseigneur, afin de préparer quelque nourriture pour réconforter les pauvres. » « Ne sois pas triste, fit alors Adalric
, à cause de la vie pauvre que tu as menée jusqu’à présent. Si Dieu le veut, tu vas bientôt élevée plus haut. » Et le même jour il remit entre ses mains le château avec toutes ses dépendances afin qu’il devienne un monastère, en conjurant Odile d’intercéder pour lui auprès de Dieu, avec la sainte communauté, à cause du crime qu’il avait commis.
La mort d’Adalric Adalric ne vécut plus très longtemps par la suite et son dernier jour arriva. Odile eut une révélation céleste : son père se trouvait dans le lieu des châtiments, à cause des péchés pour lesquels il n’avait pas accompli de pénitence suffisante en ce monde. La mort de son père l’ayant saisi d’un immense chagrin, elle s’appliqua à supplier Dieu par des veilles, des jeûnes, des prières. Alors qu’elle priait dans un endroit écarté du flanc de la montagne sur laquelle se dresse le monastère, et qu’elle se tourmentait pour que son père soit délié de ses fautes, elle entendit une voix qui disait : « Odile, aimée de Dieu, cesse de t’affliger, car tu as obtenu du Seigneur le pardon pour les fautes de ton père. Le voici délivré et les anges l’emmènent pour le placer dans le chœur des patriarches. » Elle répondit : « Je te rends grâce, Seigneur, parce que tu as daigné m’exaucer, moi, indigne, non pas à cause de mes mérites, mais dans ta bonté. »
La vie à Hohenbourg Odile dirigeait une communauté d’environ 130 moniales. Ce qu’elle leur enseignait par la parole, elle en témoignait par ses actes. Elle était empressée au service de Dieu, gardant à l’esprit cette parole de l’Apôtre Paul : « Que, en prêchant aux autres, je ne sois pas moi-même réprouvé. » (1 Corinthiens IX, 27)
Niedermünster Le monastère que gouvernait la vénérable abbesse se dressait sur une très haute montagne. Par conséquent, non seulement les faibles et les infirmes, mais aussi les personnes en bonne santé avaient beaucoup de peine à y monter. Alors la Sainte servante de Dieu, attristée de ce qu’ils venaient rarement à son couvent à cause de la difficulté du chemin, fit construire d’abord une église en l’honneur de saint Martin, au pied de la montagne. Ensuite elle aménagea un accueil pour les pauvres avant de construire là aussi le monastère de Niedermünster (« le monastère d’en bas »), comme on peut encore le constater aujourd’hui.
Saint Jean-Baptiste Bien qu’elle ait été empressée à invoquer tous les saints dans leur ensemble, Odile avait une prédilection pour les reliques de saint Jean-Baptiste, parce qu’elle avait obtenu la vue au moment de son baptême. C’est lui qui révéla à la vierge choisie de Dieu le lieu où il voulait que l’on construise l’église, ainsi que les dimensions qu’elle devait avoir en largeur et en longueur.
La mort de Sainte Odile.
Mais tandis que les sœurs priaient en un autre lieu que la chapelle saint Jean-Baptiste où Odile se trouvait pour se préparer à la mort, son âme sainte fût délivrée de son corps. Il se répandit un parfum merveilleux aussi puissant que si toute la maison avait été pleine de plantes aromatiques. Quand les sœurs, après la prière, revinrent et trouvèrent morte leur mère spirituelle, elles furent extrêmement affligées parce qu’elles n’avaient pas mérité d’assister au départ d’une âme si sainte et parce que leur mère bien aimée avait rendu le dernier soupir sans avoir reçu le viatique. D’un même cœur, prosternées dans la prière, répandant des larmes qui venaient du plus profond d’elles même, elles demandèrent au Seigneur de donner ordre aux saints anges qui emmenaient l’âme afin qu’ils la remettent dans le corps. La sainte servante de Dieu s’assit et leur adressa ces mots : « Ô mes mères et mes sœurs bien aimées, pourquoi avez vous voulu m’infliger un tel ennui, de demander au Seigneur qu’il ordonne à mon âme, déjà embarrassé du poids de la corruption, de retrouver ce qu’elle avait quitté ? En effet, par la grâce de Dieu, unie à la compagnie de la vierge Lucie, je goûtais une si grande joie que la langue ne peut suffire à l’exprimer, ni l’oreille à l’entendre, ni l’œil à le voir. » Elles lui répondirent qu’elles avaient agi ainsi par crainte d’être accusées de négligence, si elle était morte sans avoir reçu le Corps du Seigneur. Sainte Odile se fit apporter la coupe dans laquelle on gardait le Corps et le sang du Seigneur, la prit dans ses mains et, ayant eu part à la sainte communion, elle rendit l’âme sous les yeux de toutes les sœurs. Cette coupe est restée jusqu’à nos jours dans ce même monastère en mémoire de cet événement vénérable. Alors les saintes servantes de Dieu ensevelirent avec de grandes marques d’honneur le corps sacré dans cette église, devant l’autel de saint Jean-Baptiste, et le parfum merveilleux qui s’était répandu d’abord demeura sans cesse jusqu’au huitième jour. Là, avec la permission divine, par les mérites de la vierge sainte de Dieu, on rapporte que de nombreux miracles se sont produits.
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Odile et l’Alsace.
Canonisée par le pape Léon IX (1049-1054), sainte Odile est proclamée patronne de l’Alsace par Pie XII en 1946. Elle est fêtée le 14 décembre. Sa tombe se trouve dans une chapelle proche de l’église abbatiale dédiée à l’Assomption de la Vierge Marie. Plusieurs fois rebâtie après de multiples incendies et invasions, l’église actuelle a été construite entre 1689 et 1692, peu après le rattachement de l’Alsace à la France. Elle fut classée monument historique le 22 juillet 1997 et élevée au rang de basilique mineure le 16 juin 2006. Dans le chœur trône une statue de la Vierge à l’Enfant datant du XVIIIe siècle. Plusieurs autres espaces du Mont ont également été classés monuments historiques dès 1840 : les chapelles Sainte-Odile, de la Croix, des Anges, des Larmes, la bibliothèque et les sculptures du cloître. À proximité se trouve aussi un Chemin de croix monumental sculpté sur les parois rocheuses de la montagne entre 1933 et 1935. Enfin, un peu plus loin, les pèlerins viennent aussi se recueillir devant un autre lieu de mémoire, la stèle rappelant la catastrophe aérienne du 20 janvier 1992 dans la forêt du Mont Saint-Odile, l’une des pires de l’histoire aéronautique française (87 morts, 9 survivants).
La « prophétie de sainte Odile ».
Au printemps 1916, en pleine Première Guerre mondiale, est publié un livre intitulé La Prophétie de sainte Odile et la fin de la guerre, vite relayé par une bonne partie de la presse de l’époque. Le petit ouvrage raconte une supposée « prophétie bien connue des Alsaciens » qui prédirait une opposition de la France avec la Germanie, « nation la plus belliqueuse de la terre » dirigée par l’Antéchrist, et la victoire finale de la France. On a tôt fait d’identifier cet Antéchrist à l’empereur allemand Guillaume II, et plus tard à Hitler. L’authenticité de ce texte, complètement inconnu avant 1914, contestée y compris par des ecclésiastiques, est cependant plus que douteuse ; aucun historien n’y accorde crédit. On voit essentiellement ce texte comme le témoignage d’un fort sentiment anti-allemand pendant la Grande Guerre.