Éternel pèlerin. Pierre Favre parcourt l’Europe gagnée par les idées de Luther pour tenter d’instaurer un dialogue. Le Pape l’envoie en Germanie… Mais Ignace prend le relais quand il lui demande de fonder la Compagnie de Jésus en Espagne et au Portugal. De retour d’une mission en Espagne, en chemin vers Trente où se tenait le Concile, il meurt d’épuisement à 40 ans. Il venait de faire cette confidence à l’un de ses frères, Simon Rodriguez : « Je suis de nouveau rappelé d’Espagne pour aller au Concile de Trente. S’il n’y avait cet appel du Pape, on pourrait à bon droit me trouver bien inconstant dans mes travaux après tant de pérégrinations diverses en pays étrangers. Pour ma part, si je ne voyais en tout cela l’obéissance, je ne pourrais me consoler : toujours partir au moment où j’aurais plus de raison de rester sur place ! »
Pierre Favre et le Pape actuel. Le pape François déclare Pierre Favre « saint » le jour de son propre anniversaire : le 17 décembre 2013, près de quatre siècles après Ignace de Loyola et François Xavier. Pourquoi cet intérêt du nouveau Pape ? La proximité de Pierre Favre avec des gens des plus divers et notamment les plus pauvres en fait, pour le Souverain pontife, un modèle privilégié : « Le dialogue avec tous, même les plus lointains ; un discernement intérieur toujours en éveil, le fait d’être homme de grandes et fortes décisions, capable d’être si doux… », c’est ainsi que le décrit le Pape.
L’espérance en exemple. En quoi Pierre Favre peut-il nous aider à vivre en chrétiens heureux et ouverts aux défis de notre siècle ? Lui suffirait-il d’avoir vécu dans une Renaissance effervescente comme notre époque pour être donné en exemple ? Non, car le fréquenter peut nous apprendre comment trouver cette stabilité et ce repos du cœur qui nous manquent tant de nos jours. Nous le voyons en effet passer d’une inquiétude anxieuse, celle d’un homme pour qui la liberté ne paraît qu’une source de catastrophes, à l’audace radieuse de celui qui a entendu l’appel de la vie et y répond de tout son être. Cette sensibilité extrême en voie de guérison, qui fut la sienne, cet émoi incertain mais joyeux, est-ce encore de l’angoisse ? Peut-être lui préférerons-nous le terme d’espérance qui se fit jour peu à peu dans toutes les démarches apostoliques de cet éternel pèlerin ? Ou le terme de « repos du cœur » ? Effectivement Favre découvrit que le repos promis par Jésus dans l’Évangile (Matthieu 11, 28-29) est moins une interruption dans la « peine » qu’une stabilisation, un arrêt de l’agitation et du trouble, une sorte de certitude que l’on est là où l’on doit être et où on est le mieux : parce que c’est là qu’il est, lui, pour nous.
Écoutons-le plutôt :
« Un tourment ne me quitte pas depuis mes premiers contacts avec l’Allemagne : la crainte de sa totale défection, cet esprit de doute qui, de tant de manières jusqu’ici, m’a persécuté, tâchant par tous les moyens de m’amener à désespérer de faire du fruit et à abandonner le poste qui m’a été confié en Rhénanie… » (M. 329)
« Efforce-toi plutôt de devenir l’instrument du bon esprit »
« Ne te fie pas à ces mauvais esprits d’après lesquels tout se terminera mal, tout se présente mal, ou qui soulignent ce qui va mal. Esprits mauvais, ils dépeignent à l’image de ce qu’ils sont la situation qu’ils veulent et souhaitent aggraver encore. Efforce-toi plutôt de devenir l’instrument du bon esprit : il te montre la situation et la conjoncture telles qu’il les souhaite et comme il est prêt à les faire évoluer avec ton aide… » (M. 158)
Qui ne voit qu’il est urgent de se laisser gagner par cette attitude de Pierre Favre dans cet enchevêtrement de conflits répercutés aujourd’hui en Europe ? Si nous n’y prenons garde, nous nous laissons déporter du côté obscur et écraser par des forces du mal dont il n’est pas aisé de s’émanciper. En témoigne un tic médiatique récent : le retour du mot glaçant : « sidération ».
Et, de nos jours, l’internet, la mondialisation… Plus qu’une Renaissance, c’est une mutation anthropologique que nous vivons. L’espérance de vie d’une Française est de 84 ans : quel changement par rapport au mariage, à l’enfantement, à l’héritage. Nous ne sommes plus les mêmes par rapport à la douleur, grâce aux anesthésies qui chamboulent la morale. Les nouvelles technologies métamorphosent notre identité spatiotemporelle, donc notre rapport à la loi… Avec cette différence flagrante : la vitesse des changements. Ainsi il a fallu 10 ans pour que notre planète soit interconnectée !